7 avril 2012, Alicante. À mi-parcours de la Volvo Ocean Race, un sentiment s’impose. Chez les marins, au sein de l’organisation. Après quelques interviews aux réponses lasses, plusieurs nuits blanches, cinq étapes et six escales, j’ai trouvé : ça s’appelle la fatigue. Celle qui me rend silencieuse (c’est rare) et comme soûle (c’est rare aussi, ahah).
Alors j’ai pensé écrire.
Je ne prétends pas détenir la palme de la fatigue, il y a des vies et des circonstances bien plus épuisantes que la mienne – mais je constate que la lassitude joue un rôle clef dans cette course que j’ai rejointe il y a un an et que je couvre tous les jours depuis cinq mois.
Je ne prétends pas non plus que mon épuisement ait la moindre proportion avec celui des 66 marins. Leur échelle est autre, leur harassement est bien plus violent. C’est d’ailleurs en en parlant avec eux que l’idée m’est venue.
Mercredi dernier, j’ai eu Groupama, le bateau français, au téléphone. C’était quelques heures à peine avant leur triste démâtage. J’interviewais Charles Caudrelier. Et il était tellement crevé ! Incroyable, la voix épuisée, le ton éteint : « C’est un peu long, tu vois. Vous auriez pu mettre Itajaí un peu plus au sud … »
J’ai réalisé à quel point les mecs n’en pouvaient plus. Il y a leur fatigue physique : les bateaux sont rapides et extrêmement fatigants, avec des chocs dans les vagues, des accélérations, de l’eau sur le pont. Le rythme des quarts, souvent interrompus par les manœuvres, qui ne suffit pas à assurer un vrai repos.
Il y a aussi une fatigue mentale : neuf mois de course, 10 pays, 11 hommes par bateau. Les escales sont trop courtes pour vraiment se vider la tête. Les demandes sportives et médiatiques s’additionnent. La formule est cruelle.
À terre, le challenge est différent mais le rythme est costaud pour les équipes techniques, les communicants, les organisateurs. On boit constamment du café et le vendredi ne précède plus le week-end. On vérifie trop souvent nos e-mails, on se réveille en allumant l’ordi, on doit laisser nos téléphones branchés, on me demande de courir avec mon portable, on crée de l’urgence. La Volvo Ocean Race est un marathon.
C’est peut-être pour apprendre à gérer ce genre de course de fond que je suis allée faire un semi-marathon à Madrid la semaine dernière. En passant le 20e kilomètre, je crois avoir saisi la notion d’endurance. Je me suis gueulée dessus et j’ai accéléré. J’ai compris où puiser un peu d’énergie en plus.
Je sais, je sais bien, que ce métier est privilégié, que cette course est une bulle, que cette expérience est une chance.
Mais on peut aimer son boulot, et sa vie à côté aussi. Je sais que j’ai rarement été aussi obsédée par mon job, rarement aussi crevée. Ceux avec qui je travaille – collègues et compétiteurs – sont eux aussi au bout du rouleau.
Pourtant, il suffit d’une photo des mers du sud pour me rappeler que ce défi me parle, il suffit d’un appel avec un marin bavard pour me rappeler que j’aime raconter ces histoires.
Ça en vaut la peine et je continuerai d’aller chercher cette sensation du 20e kilomètre.
Bravo pour le job realisé, les efforts sont récompensés par les bons chiffres de fréquentation du site. Courage les 22,8 kilomètres à venir.
Gil.
Très bon billet Agathe 🙂
La résistance humaine est énorme, encore faut-il avoir la volonté de se surpasser.
Merci pour ton boulot et à fond pour la suite …